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Editions Fin mars début avril
10 décembre 2010

The Cure - Charlotte Sometimes

 

Les essayages commencèrent dans une ambiance détendue. Rien que de bien normal : on a, a priori, moins d’appréhension quand on entre chez un marchand de sandales que lorsqu’on va chez le dentiste. Le beau temps participait aussi à cet état d’esprit : par la porte ouverte de la boutique, on sentait l’air doux de ce début d’été ; sur la chaussée piétonnière de la rue commerçante, les passants s’arrêtaient pour discuter, parfois pour rire, comme si le soleil les autorisait à prendre leur temps plus que de coutume. Puis, au milieu de ces voix, une douce mélodie à la guitare vint s’immiscer et augmenter encore cette impression de sérénité. Il était fréquent que des apprentis troubadours s’installent dans cette rue passante. Celui que Salomé entendit cette après-midi-là avait l’avantage de bien jouer – et il lui sembla même reconnaître l’air, sans pouvoir se rappeler son titre. Ce serait sans doute un bon jour pour ce musicien : son talent et la bonne humeur ambiante porteraient plus facilement les badauds à lui laisser quelques pièces.
« Vas-y, marche, maintenant, pour voir si ça va. »
Salomé obtempéra aux consignes maternelles. Elle s’avança dans l’allée, entre les piles de boîtes de chaussures, tandis que Solweig l’observait, accroupie à côté des deux ou trois cartons qui constituaient sa première sélection.
« Ça a l’air d’aller. Elles ne te font pas mal ?
– Non, non, ça va », annonça Salomé en faisant demi-tour pour revenir vers Solweig. Elle n’avait pas l’habitude de mettre des heures à se décider. Même si elle ne ressemblait pas physiquement à sa mère, elle lui avait au moins pris ce trait de caractère. Solweig s’étonna pourtant de la voir se figer au milieu de son mouvement de rotation. Ce ne fut qu’une seconde ou deux d’hésitation. Puis Salomé acheva de tourner sur elle-même et revint vers son point de départ.
« Non, en fait, ça va pas ! La lanière me rentre dans la peau ! »
Elle ôta en hâte la paire de sandales puis, tandis que sa mère, perplexe, la remettait dans la boîte, elle reporta son regard sur la scène qu’elle avait surprise lors de son demi-tour et qui lui avait glacé le sang : de l’autre côté de la rue, devant la vitrine toute couverte d’affiches d’un magasin à l’abandon, elle avait reconnu le guitariste. C’était Julien, l’ami… enfin, non, plutôt le « petit ami » d’Estelle. C’est à ce moment-là qu’elle identifia la mélodie qu’il jouait : Charlotte Sometimes, dans une étonnante version pour guitare acoustique solitaire, tout aussi poignante que l’original de The Cure.

Extrait de Invitation pour la petite fille qui parle au vent, pages 115 et 116.

 

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